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Permanence n°589

5 ans de plus : anatomie du macronisme


Le président de la République est souvent présenté comme un pur opportuniste, exprimant la quintessence du vide. À rebours de cette thèse, l’universitaire Frédéric Rouvillois estime qu’Emmanuel Macron porte une véritable doctrine, dans la droite ligne du comte de Saint-Simon, mêlant un socialisme à fois égalitaire et élitaire à une idéologie du mouvement qui vise à liquider les anciennes permanences. Il a également donné à voir un personnage volontiers messianique, faisant penser, toutes proportions gardées, au Maître de la terre décrit par R.H. Benson dans son fameux roman. Madeleine Dory nous rappelle les principales caractéristiques de cette œuvre au parfum eschatologique. La dimension autoritaire du personnage n’est pas à négliger non plus. Marie Dumoulin montre comment cinq années de macronisme ont fait reculer les libertés publiques. Enfin, la parole est donnée à cinq personnalités pour dresser un bilan synthétique du quinquennat.

VERS LA LIQUIDATION

Héritier de Saint-Simon, Emmanuel Macron entend liquider les permanences de l’ancien monde pour faire entrer la France dans un monde radicalement nouveau. Élu pour cinq années supplémentaires, ce personnage hors-norme mérite que l’on se penche sérieusement sur lui.

Emmanuel Macron a été réélu président de la République le dimanche 24 avril 2022, avec un score de 58 % des suffrages exprimés. Cette large victoire ne doit pas cacher une réalité plus nuancée : il a recueilli les suffrages de seulement 38,5 % des inscrits. Emmanuel Macron n’ouvre donc pas son second mandat conforté par un plébiscite populaire, mais dans une situation de statu quo : les fractures françaises sont toujours là, et il est aujourd’hui celui qui a su en tirer le meilleur parti. Pendant cinq ans, qu’il s’agisse de la révolte des Gilets jaunes ou de la pandémie de COVID, il n’a pas cherché à réduire ni apaiser ces fractures mais, au contraire, à cliver, à diviser, pour s’assurer l’allégeance d’un socle minoritaire suffisamment solide pour gouverner et être réélu.

Tirant les leçons de cette élection, le journaliste de L’Opinion Jean-Dominique Merchet souligne cependant la fragilité de ce socle minoritaire :

Nous assistons à la naissance d’une sorte de parti unique de gouvernement derrière Emmanuel Macron. […] Cela signifie qu’il n’y a désormais plus d’alternance possible au sein du système politique traditionnel. Très affaiblis, les partis de gouvernement et les catégories sociales qui les soutiennent n’ont plus d’autre choix que de fusionner derrière un chef. Ce parti unique de gouvernement est soutenu par ce que différents auteurs nomment le bloc central, élitaire ou bourgeois. Ce bloc sociologique n’est pas majoritaire dans la société, mais il gouverne seul. C’est le parti de l’ordre. Aucun autre bloc n’est majoritaire. […] Sa seule ligne possible : moi ou le chaos. Cela peut marcher un temps…

L’antienne « moi ou le chaos » suffira-t-elle à assurer sa victoire aux législatives ? Habituellement, les législatives qui suivent la présidentielle sont un vote de confirmation. Cependant, cette hypothèse est plus fragile aujourd’hui qu’il y a cinq ans et l’Assemblée nationale pourrait ne pas dégager de majorité. Une telle hypothèse présenterait l’avantage de redonner au Parlement un rôle décisif, ouvrant la possibilité d’un certain contre-pouvoir face au syndrome de toute-puissance autoritaire qui caractérise Emmanuel Macron. Ce ne serait certainement pas inutile, notamment quand on considère combien les libertés publiques ont été malmenées pendant cinq ans, comme le démontre Marie Dumoulin dans ce numéro de Permanences (lire pages 27 à 32).

Éradiquer toute forme d’héritage

Mais si monsieur Macron obtient une majorité absolue, il n’aura aucun frein. Où cela nous conduira-t-il ? Dans ce numéro de Permanences, nous avons cherché à cerner davantage le personnage : est-il seulement un opportuniste doué pour les calculs politiques ou a-t-il une véritable substance qui éclaire le chemin sur lequel il entend mener la France ? Pour répondre à ces questions, nous avons interrogé Frédéric Rouvillois (lire pages 9 à 22), professeur agrégé de droit public et spécialiste de l’histoire des représentations politiques. Auteur d’un essai intitulé Liquidation – Emmanuel Macron et le saint-simonisme[1], l’universitaire situe clairement le président français dans la filiation de Saint-Simon :

Sur toutes les grandes questions politiques, il y a une parenté avec la tradition saint-simonienne, autrement dit avec cette utopie du mouvement, avec ce socialisme industrialiste et élitaire qui apparaît avec son inventeur, le comte de Saint-Simon, au tout début du XIXe siècle. […] Cette pensée utopiste et socialiste s’apparente avec ce que développe aujourd’hui notre jeune président philosophe.[…] Emmanuel Macron n’est pas seulement un opportuniste et un pragmatique : il a réfléchi au politique, il a une cohérence idéologique qui lui permet d’expliquer où il veut conduire la France.

Pour Frédéric Rouvillois, nous retrouvons chez Emmanuel Macron « l’idée du saint-simonisme qui combine un égalitarisme radical et une méritocratie républicaine très poussée. Pour que chacun possède selon son mérite, il faut s’attaquer à la notion d’héritage ». C’est ainsi qu’Emmanuel Macron serait mû par une volonté – en plus de diluer la France dans l’utopie européenne – de liquider, à terme, tous les héritages, non seulement matériels mais encore culturels, sociaux, anthropologiques, historiques, pour nous faire entrer dans un monde radicalement nouveau. Frédéric Rouvillois explique le sens de cette liquidation : « En choisissant le terme “liquidation”, j’ai voulu exprimer les deux sens du terme : fluidifier toute chose et, pour y parvenir, liquider le monde d’avant, supprimer les barrières et les repères qui construisaient l’humain et la société. Il faut en quelque sorte liquéfier pour liquider. »

Frédéric Rouvillois évoque également le côté séducteur et mystérieux, voire mystique, d’Emmanuel Macron, un peu comme « une sorte de faux messie ». Et il aborde les craintes que le personnage engendre dans une partie de l’opinion, avec cette idée que sa réélection pourrait mener à une sorte de cauchemar dystopique. Frédéric Rouvillois se réfère à cet égard au fameux personnage du roman de Benson, Le Maître de la terre, même si son propos n’est certainement pas de comparer le Président à l’Antéchrist ! Pour en savoir davantage, nous avons demandé à Madeleine Dory de nous présenter cette œuvre (lire pages 23 à 26), qui anticipe de manière saisissante les temps modernes et éclaire la dimension eschatologique de l’histoire concrète des hommes. Voici qui nous aidera peut-être à comprendre le parfum d’apocalypse qui se diffuse dans l’air du temps, à ce moment de l’histoire qui apparaît comme un possible point de bascule.

Guillaume DE PRÉMARE


[1] Le Cerf, sept. 2020, 304 pages, 20 €

 

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