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Culture sans nature n’est que ruine de l’homme

« C’est le propre de la personne humaine de n’accéder vraiment à l’humanité que par la culture, c’est-à-dire en cultivant les biens et les valeurs de la nature »[[Gaudium et spes , n°53.]]

3 février 1959, le général de Gaulle signe le décret instituant officiellement le ministère des Affaires culturelles. Depuis les années du Front populaire, on débattait régulièrement de la création d’un véritable ministère de la Culture[[Pour en savoir plus, se reporter à : Claude Mollard, Le 5e pouvoir , La culture de l’Etat de Malraux à Lang , Armand Colin, 1999.]]. Mais, par rapport à la IVe République qui se contentait d’un secrétariat d’Etat aux Beaux-Arts sous la tutelle du ministre de l’Education nationale, c’est une petite révolution.

Malgré tout, cette création nouvelle apparaîtrait presque comme le fruit du hasard : il fallait trouver un portefeuille ministériel à la mesure de la stature d’André Malraux trop étriqué dans ses habits de ministre de l’Information. Mais en réalité, ce nouveau maroquin participe bien de la volonté d’étatisation de la culture, déjà en germe dans les esprits, étatisation que Malraux va concrétiser.

« Le ministère des Affaires culturelles précise le décret du 24 juillet définissant ses attributions, a pour mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent ».

1981, une génération est passée. La gauche aussi, d’ailleurs ! Certes, le refus de Jacques Chirac de soutenir Valéry Giscard d’Estaing lors du second tour a facilité la tâche de François Mitterrand, mais l’arrivée de la gauche au pouvoir était quasiment inéluctable. Durant son septennat, Giscard avait accompagné et accéléré le processus – introduit par Mai 68 – d’ébranlement des valeurs culturelles chrétiennes.

Le 22 mai, le Président François Mitterrand nomme Jack Lang ministre de la Culture du gouvernement Mauroy. C’est, pour Jack Lang, le début d’une longue carrière et, pour la Culture, frappée de plein fouet par ses élucubrations, d’une longue agonie. Ministre de la Culture du 22 mai 1981 au 19 mars 1986, puis du 13 mai 1988 au 29 mars 1993, il connaîtra tous les Premiers ministres de gauche et traversera tous les remaniements ministériels. Ministre de la Culture pendant dix ans – et qui sait ce que nous réserve l’avenir ? -, il le restera à vie. Lorsque l’alternance l’expulse des murs du ministère et qu’il se retrouve dans l’opposition, son ombre continue de planer au-dessus de la Culture. En 1999, Romano Prodi lui propose de devenir commissaire européen à la Culture, à l’Education et à la Recherche. Mais il déclinera l’offre, préférant rester en France. Heureusement pour nos voisins…

Un décret du 10 mai 1982 définissait ainsi les prérogatives de son ministère : « Le ministère de la Culture a pour mission : de permettre à tous les Français de cultiver leur capacité d’inventer et de créer, d’exprimer librement leurs talents et de recevoir la formation artistique de leur choix ; de préserver le patrimoine culturel national, régional, ou des divers groupes sociaux pour le profit commun de la collectivité toute entière ; de favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit et de leur donner la plus vaste audience ; de contribuer au rayonnement de la culture et de l’art français dans le libre dialogue des cultures du monde ».

D’emblée, les deux décrets dénotent un changement d’état d’esprit. Le décret de 1959 parle d’œuvres capitales, spécialement celles de notre patrimoine national, tandis que le décret de 1982 évoque l’invention, la création, l’expression libre en insistant sur le dialogue entre les cultures. La dénomination du ministère a d’ailleurs suivi cette évolution : en vingt ans, les Affaires culturelles ont grandi, se sont épanouies et sont devenues rien moins que La Culture.

Ce changement semblerait radical à celui qui ignorerait qu’il s’agit paradoxalement d’une continuité : « Lang, estime un de ses anciens collaborateurs au Ministère, est objectivement un continuateur plus qu’un vrai novateur ; à ce titre, il a porté la politique culturelle de la Ve République à son accomplissement »[[Claude Mollard, Le 5e pouvoir , p. 292.]]

Le 11 octobre 1982, il inaugurait le musée de la publicité et déclarait le plus sérieusement du monde : « La publicité est une culture parce qu’elle fait appel à l’internationalisme du langage universel, à l’homme et à l’intelligence. Elle a joué et doit continuer de jouer un rôle important dans l’égalisation des chances culturelles qui devient l’une des plus ardentes obligations des hommes de nos générations »[[Marie Delarue, Les aventures de Lang de Blois , Jacques Grancher Editeur, 1995, p. 128.]].

Après 25 ans de socialisme ou de politiques apparentées, toute expression est ainsi devenue culturelle : ainsi en est-il du rap, des graffs et des tags dont les brochures officielles du ministère expliquaient : « en se figeant à jamais sur un mur, dans l’imaginaire héroïque d’un surnom de guerre, les tags tentent de mettre fin à l’éternelle précarité qui touche à des degrés divers une grande partie des jeunes »[[Cité par Marie Delarue, Les aventures de Lang de Blois , p. 128.]]. Ainsi en est-il aussi de la « culture » homosexuelle dont Lang, toujours précurseur en la matière, disait dans une interview au magazine Gai pied en 1984 : « Gai pied répond à une nécessité, à une réelle exigence. Gai pied répond à un appel. En cela, il est culturel au sens plein et vivace du terme »[[Gai pied du 10 novembre 1984. Cité par Marie Delarue, Les aventures de Lang de Blois , p. 188.]].

Aujourd’hui où toute expression est culturelle, particulièrement lorsqu’il s’agit de l’expression d’une révolte contre un ordre social conservateur, plus personne ne s’offusquerait de tels propos. Les « valeurs » homosexuelles sont reconnues comme constitutives d’une culture à part entière. Bref, c’est passé dans les mœurs. Le réflexe du tout-culturel est devenu… culturel. Dans de telles conditions, nul ne s’étonnera du fait que plus personne ne sait ce qu’est réellement la culture… Elle « fait mauvais ménage avec le monde actuel »[[Jean-Louis Harouel, Culture et contre-cultures , PUF, 1998, p.271.]].

Le mystère de la culture

« Rarement un signifiant aura couvert autant de signifiés » , souligne le professeur Jean-Marie Duprez[[Dictionnaire de sociologie , dirigé par Gilles Ferréol, Armand Colin, 2002, p. 38.]] : avec plus de 150 définitions différentes de la culture, « la confusion est extrême » [[Isabelle Mourral, Le sens des mots , Editions de Paris, 1997, p. 138.]]. Mot passe-partout, l’usage abusif qui en est fait ne laisse rien présager de bon quant au contenu qu’on lui donne. Rien d’étonnant à cette boulimie compulsive, nous sommes à l’heure du tout-culturel. « L’idéologie des « gégés » [[Les « gentils-gens ».]], notait dernièrement le journaliste Ivan Rioufol dans un essai[[La république des faux gentils , Editions du Rocher, avril 2004, p. 46.]] au vitriol, voit (…) de la culture partout : dans les loisirs, le sport, la cuisine, les luttes sociales, peu importe » .

Mais que cache cette « inflation cuculturelle » [[Ivan Rioufol, idem .]] et cet emploi intempestif du terme que l’on décline à toutes les sauces ? Une idéologisation de la culture au service de la subversion. Nous le savons depuis Platon, « la perversion de la cité commence par la fraude des mots » . Il convient donc d’avoir les idées claires afin d’apprécier réellement la nature de la culture et ses enjeux.

La tentation est grande de comprendre la culture dans son acception académique. Cependant, elle ne se résume pas aux œuvres d’art ni aux musées qui les rassemblent et les exposent. Ils ne sont qu’une infime partie de la culture ; ils sont la face émergée de l’iceberg, la forme au sens où Victor Hugo disait de celle-ci qu’une forme est « le fond qui remonte à la surface » . Certes, les œuvres d’art constituent sans nul doute la partie la plus perceptible, car la plus visible, la plus manifestement culturelle, mais non point la plus essentielle.

En taillant dans le bloc du marbre, en bâtissant des cathédrales, l’homme veut exprimer et communiquer quelque chose. Ce sens profond donne à l’œuvre toute son existence : il est à la fois l’alpha et l’oméga, sa cause et sa raison d’être, bref, son principe ordonnateur. Les œuvres d’art sont l’expression d’une réalité bien plus profonde et bien plus substantielle sans laquelle elles n’existeraient pas. Notons au passage que ceci explique sans doute pourquoi la modernité engendre un « art » aussi plat. Refusant l’idée – du fait même de l’axiome idéologique qui la conduit – que le monde ait un sens, qu’être homme ait une signification, elle n’a rien à exprimer et son « art » ne communique rien que l’absurde. Ce que soulignait Jean-Paul Aron dans une série d’émissions télévisées consacrées à « la modernité » : l’art dit moderne est en fait un art « in – signifiant « , parce qu’il n’a pas de signification.

La culture dépasse donc infiniment le cadre de l’œuvre. Victor Hugo parle de la beauté comme étant « l’infini dans un contour » . Antoine de Saint-Exupéry disait, lui, de la civilisation qu’elle était « un lien invisible puisqu’elle porte non sur des choses, mais sur les liens qui les nouent l’une à l’autre, ainsi et non autrement… » . Cette définition de la civilisation vaut pour la culture qui l’engendre.

L’infini , le lien invisible … : on sent, on perçoit ce que cela signifie, mais il demeure un côté énigmatique et mystérieux que seuls le cœur et l’âme peuvent dépasser. Comment alors définir la culture avec des mots lorsque l’on sait que, comme aimait à le dire Gustave Thibon, « les mots sont impudiques à force de ne rien révéler » ? Et comment définir la culture si la beauté de l’œuvre ne dit pas tout du beau, encore moins de la culture ? Définir une chose consiste à la borner, à la circonscrire, à la délimiter. Dire « l’infini » évoqué par Hugo ou le « lien invisible » suggéré par Saint-Ex est alors une véritable gageure.

Si l’œuvre d’art n’est qu’une expression de la culture, si elle ne la résume pas, si elle ne dit pas tout d’elle, il ne nous reste alors qu’à faire usage d’autres images, à trouver d’autres éclairages permettant de mieux apprécier cette réalité autant infinie et invisible qu’elle est profonde. En tant qu’expression de la culture, l’œuvre d’art est bien sûr une de ses images. Mais elle est, d’une certaine manière, trop jolie. Il est ainsi tentant de s’arrêter au contour dont parle Hugo, contour tellement harmonieux qu’il peut être un obstacle à un approfondissement substantiel – ainsi en est-il par exemple de l’action culturelle développée par Jean Ousset, qu’une routine toute humaine qui oublierait d’aller jusqu’à l’argumentation apologétique pourrait transformer en école des Beaux-Arts pour amateur. Cette beauté extérieure indéniable, et déjà si agréable au regard de l’homme, peut donc masquer la profonde réalité de la culture. D’où l’intérêt de faire appel à d’autres images que celle de l’œuvre d’art.

L’autre image qui vient à l’esprit est celle d’une parcelle de terre qu’un paysan travaille afin de la faire fructifier . Culture vient de colere , action de cultiver. A première vue, la beauté n’est pas la première dimension de cette image. Mais elle évoque bien d’autres dimensions plus profondes, qui vont nous permettre de mieux apprécier ce qu’est la culture en dépassant l’obstacle que peut constituer l’apparence.

Nous avons souligné l’idée de travail et de fructification . Le travail suppose une intervention humaine , donc une idée de liberté et de responsabilité. La fructification , conséquence de ce travail , implique l’idée d’un mieux qui découle de potentialités préexistantes . Potentialités préexistantes , intervention humaine , fructification : ainsi s’ordonne le processus culturel.

Ce que l’on ajoute à la nature

Pour qu’il y ait culture, pour qu’il y ait épanouissement , il faut une fructification . Pour qu’il y ait fructification, il faut un travail , un effort humain. Cette fructification implique déjà ipso facto une liberté dont on mesure alors la grandeur. Mais il faut surtout des potentialités préexistantes . Zéro ajouté à zéro ne donne rien d’autre que zéro : on ne fait pas fructifier le néant.

Il découle de ce qui précède que ces potentialités sont contenues dans une nature, et plus précisément qu’elles sont la nature même. Et que le développement culturel ne peut s’inscrire que dans le cadre strict du respect de la nature. La nature est la mise de départ , l’inné , ce que l’on reçoit par la naissance. La culture est le retour sur investissement , l’acquis , ce qui est obtenu après l’effort de développement.

Une culture ne peut s’abstraire de la nature. Reprenons l’image de la terre et du paysan qui la travaille : une terre possède des potentialités et celui qui veut la faire fructifier se doit de les respecter. Faute de quoi, le paysan n’en tirera pas le meilleur qu’elle puisse lui offrir : il est des sols faits pour la culture de la vigne, d’autres pour les céréales. Au pire, une exploitation irrespectueuse (contre-nature) de la terre n’aboutira qu’à sa destruction par appauvrissement .

Pour la culture au sens large, le processus est le même : la culture naît de l’épanouissement , de l’élévation , du perfectionnement , de la fructification de la nature (Jean Daujat parle de la civilisation comme d’ »un régime de développement humain » [[Idées modernes, réponses chrétiennes , Téqui, 1956, p. 10.]]). La culture étant le propre de la société, toute violence portée à la nature des choses et contre l’être de l’homme aboutit à une destruction de la société par appauvrissement culturel – le même appauvrissement qui stérilise une terre. Le lien entre la culture d’une société et celle d’une parcelle de terre est tellement fort qu’on emploie les mots du champ agricole pour évoquer le champ social. Ne dit-on pas par exemple qu’il faut s’enraciner ou qu’il faut reconstituer le terreau chrétien ? « Il s’agissait de fonder une société , explique Dom Gérard dans Demain la Chrétienté. Pas seulement de « convertir ». Qu’est-ce qu’un converti privé de son milieu, de sa terre nourricière et de l’oxygène qui ravitaille ses poumons ? Et voilà réapparaître l’idée de Chrétienté comme espace, comme atmosphère, comme terreau, comme labour dûment irrigué où, sous le regard d’un bon cultivateur, les germes trouveront les conditions nécessaires à leur développement ». Avouons que c’est autrement plus expressif que la définition plate de la chrétienté qu’offre le dictionnaire : « Ensemble des peuples où prédomine le christianisme » .

La culture chrétienne, le meilleur régime de développement humain

Puisqu’elle se définit comme le processus de son épanouissement, la culture ne peut pas être dissociée de la nature, de l’essence de l’homme, de l’être des choses. Cette idée de perfectionnement de la nature, on la retrouve explicitement dans ce propos de Jean-Paul II à l’UNESCO en 1980: « la culture est ce par quoi l’homme en tant qu’homme devient davantage homme, « est » davantage, accéde davantage à l’être ». Est-ce si étonnant? Qui, mieux que l’ Eglise, dépositaire du sens de l’homme depuis que le Fils de Dieu l’a instituée, peut comprendre l’idée de culture?

La nature d’une chose est sa fin, sa vocation, ce à quoi elle est appelée. Dieu a doté l’homme d’une nature humaine parfaite, mais celle-ci est blessée depuis que le premier homme a voulu s’affranchir de l’ordre voulu et ordonné par le Créateur. Du fait de sa nature, il aspire au bien. Les potentialités humaines préexistantes le porte naturellement au bien. Mais, du fait de sa blessure, il fait le mal : « je fais le mal que je ne veux pas faire ; je ne fais pas le bien que je voudrais faire » , avoue saint Paul.

Régime de développement de l’homme vers la finalité à laquelle il est appelé, la culture est comme la grâce : elle n’abolit pas la nature, ne la détruit pas, mais l’accomplit en la portant à son achèvement. Elle favorise au plan humain ce que permet la grâce au plan spirituel. La culture est une intervention humaine, la grâce une intervention divine.

Gardons le sens des proportions : si culture et grâce peuvent tendre à la même finalité, le fossé de l’imperfection sépare l’intervention humaine de l’intervention divine. D’autre part, évoquer le plan humain et la culture d’une part, le plan spirituel et la grâce d’autre part n’est que pédagogique. On peut les distinguer mais non point les séparer. L’intervention humaine et l’intervention divine concourent au même but ; il n’y a aucun déterminisme mais deux libertés, celle de l’homme et celle de Dieu. Et l’homme se sauve lorsque sa liberté communie à celle de Dieu.

Pour cette raison, le développement culturel est impossible sans une vie spirituelle. Puisque la culture est l’épanouissement de la nature, l’accession à l’être, elle ne peut aller à l’encontre du spirituel qui rappelle sans cesse la finalité de l’homme. La culture est cet arbre qui grandit et s’épanouit, les racines puisant à la source de la nature et lui permettant de tendre vers le Ciel. L’idée de culture suppose l’idée de perfectionnement et quoi de mieux que le spirituel pour être tiré vers le haut (religion, religare , relier).

Le spirituel est la source dans laquelle puise la culture pour sans cesse s’épanouir et grandir. Si on coupe cette source, la culture se meurt inexorablement. L’histoire nous offre de nombreux exemples de culture dont on a coupé la source et dont on regrette ensuite la disparition. Ainsi, certains, au demeurant bien intentionnés, voudraient que l’école ré-enseigne la morale de la IIIe République. Mais celle-ci n’était qu’un reliquat de la culture chrétienne, dont on avait coupé la source sous la Révolution, mais qui persistait encore dans les consciences.

Chasser le naturel, il ne reste que du culturel

Inutile de pleurer sur le cadavre de la culture si on se refuse à la reconnaissance d’une nature des choses. Ce serait pleurer les effets des maux dont on chérirait les causes. La crise de la culture est d’abord et avant tout une crise du sens de l’homme et de son rapport au monde.

D’où l’importance d’une formation philosophique minimale. Lorsque le Centre de Formation dont l’objet est l’action civique et culturelle propose, dans ses sessions de formation, quelques séances consacrées aux bases philosophiques, ce n’est pas par intellectualisme, mais parce qu’il faut avoir les idées claires sur un certain nombre de notions qui faute d’être connues, conduiront les meilleures volontés vers des impasses.

Derrière Beaubourg se profile donc une crise ontologique. Le tout-culturel proclamé par Jack Lang est bien plus qu’une niaiserie consistant à mettre bêtement, hypocritement et démagogiquement tout sur le même plan. Cela passerait avec le temps. Non, c’est bien une des conséquences désastreuses de l’idéologie de la modernité où l’homme est pure liberté, où il n’existe ni nature ni vérité. Car, s’il n’existe pas de nature, alors, oui, chacun peut développer ses potentialités préexistantes – dont on ne sait d’ailleurs d’où elles sortent si ce n’est du big bang ! – et les faire fructifier comme il l’entend. On comprend mieux alors pourquoi un tag est un produit culturel qui vaut autant qu’un Rubens, étant entendu que la seule mesure des choses est la liberté individuelle qui n’est bornée que par celle des autres individualités qui composent la société. On comprend mieux aussi pourquoi tout devient culturel, jusqu’à l’homosexualité qui défend un projet de « développement » et d’ »épanouissement » qui lui est propre.

Tout ce qui est contre-nature dans les actes et la pensée ne peut trouver la voie du développement culturel. Pour cette raison, lorsque Jean-Paul II dénonce la « culture de mort », il s’agit en réalité d’une figure de style pour souligner la multiplication des conduites mortifères de nos sociétés occidentales. L’homme moderne met une telle foi à multiplier les péchés sociaux – avortements, euthanasie, expériences sur embryon… – qu’il a l’air de prendre un malin plaisir à cultiver la mort. Si cette réalité est indéniable, il semble qu’il faille malgré tout préserver le mot culture en le réservant à ce qui participe d’un développement de la nature. Pourquoi laisserait-on ce mot de culture aux idéologues qui pourrissent la vie de nos contemporains ? Ne dit-on pas souvent que tout combat commence par une reconquête sémantique ?

Toute conception culturelle découle de la vision que l’on a de l’homme : « notre idée de la culture , explique le père Marc-Antoine Fontelle, dépend de la vision que nous avons de l’homme, car il est impossible de parler du perfectionnement d’un être sans définir sa nature, et c’est bien là le cœur de la culture » [[Construire la civilisation de l’Amour , Téqui, 1998, p. 782.]]. Il faut prendre l’homme tel qu’il est et, alors, s’imposent naturellement les axes de son épanouissement. C’est le processus culturel et c’est aussi le processus éducatif. Le problème des idéologies, c’est qu’elles imaginent l’homme tel qu’elles voudraient qu’il fut, puis, en fonction de ce raisonnement désincarné, le font entrer de force dans le cadre d’un modèle de développement humain. C’est pour cette raison que le pouvoir politique ne suffit pas à une idéologie. « Au fond, expliquait François Mitterrand dans un discours à l’UNESCO, le 19 mars 1981, l’exercice des responsabilités publiques n’est qu’une section des affaires culturelles » . Il faut qu’elle prenne l’homme dans sa globalité, qu’elle aille jusqu’au tréfonds de son âme pour l’adapter réellement et durablement à sa construction intellectuelle. « La révolution socialiste n’en restera qu’aux balbutiements tant qu’elle ne connaîtra pas de prolongement culturel » , écrivait le même Mitterrand en 1980, résumant là le caractère fondamental de la culture pour établir un homme nouveau et une société nouvelle[[Cité par Henry Bonnier dans Lettre recommandée à Jack Lang et aux fossoyeurs de la culture , Ed. du Rocher, 1992, p. 12.]]. Le 2 mai 1981, quelques jours avant d’accéder à la magistrature suprême, dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Le Point , il précisait : « Le socialisme de la liberté est avant toute chose un projet culturel : un choix de civilisation. Je propose aux Français d’être avec moi les inventeurs d’une culture, d’un art de vivre, bref d’un modèle français de civilisation » [[Marie Delarue, Les aventures… , p. 91. 1 ]].

Parce que la politique – et sans conclure qu’il faille déserter ce domaine – n’est largement qu’une conséquence du tour d’esprit culturel, l’œuvre de Jean Ousset s’est consacrée à l’action culturelle. Parce que l’errance culturelle n’est, pour l’immense majorité de nos contemporains, qu’une conséquence de la méconnaissance de l’être de l’homme et de la nature des choses, l’œuvre de Jean Ousset fournit une formation doctrinale qui permet d’échapper aux pièges intellectuels du monde moderne.

On mesure alors le caractère fondamental d’une telle œuvre pour une renaissance chrétienne de la France, où la culture puisant ses racines dans la nature et se nourrissant du spirituel constituerait vraiment un régime de développement humain. L’homme serait alors digne de la liberté que lui a offert son Créateur et il renouvellerait la face de la terre…