Contactez Ichtus

L’équipe vous répondra sous peu

Contact

  • Nous suivre :

Beauté de l’ordre humain

La civilisation est l’œuvre qui non seulement offre le spectacle d’un développement harmonieux de tous les arts, de toutes les activités sociales, mais qui crée ce climat psychologique et culturel indispensable au plein élan de cette « émulation sous laquelle tout grandit », selon le mot de Voltaire.

Par la civilisation, ce n’est pas seulement la matière brute qui est comme spiritualisée par le travail de l’artiste, c’est l’ensemble même des hommes, vivant en société, qui est éclairé, élevé, éduqué, policé, moralisé. La barbarie, le désordre, le laid sont au contraire corrupteurs, avilissants. Une musique sensuelle, énervante, excitante ne pouvant pas ne pas favoriser l’indélicatesse des sentiments et des attitudes ; le hard-rock et consorts actuel habituant, selon toute évidence, la jeunesse aux expressions les plus vulgaires. Chef d’œuvre d’universalité harmonieuse donc de la civilisation.

Le mot est, il est vrai peu goûté aujourd’hui. D’autant que chaque peuple se fait de la civilisation une idée différente. Et pourtant, si la civilisation est le fruit de l’action des hommes vivant en société, il ne doit pas être imprudent que la meilleure civilisation ne peut être que celle où toutes les possibilités de la pensée, de l’invention humaine ont été, ou sont encore, développées le plus complètement. Attendu que si les hommes sont réunis en société c’est pour s’y épanouir, pour y trouver de plus grandes possibilités, de plus grandes facilités d’épanouissement, selon toutes leurs virtualités.

Ce qui amène à analyser la chose sous quatre aspects, la civilisation suppose l’épanouissement de l’homme en tout, pour tous, partout et toujours.

Epanouissement en tout. Car sans méconnaître le prix de certaines performances, de certains sommets, de certains chefs d’œuvre, les civilisations sont rares où, depuis les choses de l’âme et de l’esprit jusqu’à celles des réalisations matérielles indispensables, de la hiérarchie des développements fut ou reste respectée.

Tels peuples, dont on admire pourtant l’architecture, la littérature, l’industrie, n’en sont pas moins connus pour leurs tares morales ou sociales. De telle sorte que leurs chefs d’œuvre apparaissent comme perles au milieu d’un désert, comme des exceptions au milieu d’un monde de turpitudes et de crimes. Exemples de ces civilisations antiques dont les vestiges, si souvent prestigieux, n’en demeurent pas moins entachés par l’esclavage, les sacrifices humains, etc…

Epanouissement pour tous. Car si la civilisation est bien le chef d’œuvre collectif des hommes vivant en société, il est juste que ces profitent à l’ensemble de ceux vivant en société, il est juste que ces bienfaits profitent à l’ensemble de ceux qui composent cette société. Les civilisations ne peuvent être dites harmonieuses si, malgré de remarquables réalisations, elles n’en sont pas moins connues pour la crasse, l’ignorance, l’esclavage, le dénuement matériel et spirituel de la plus grande partie de leur population.

Epanouissement partout. Car une civilisation n’est pas harmonieuse qui laisse en friches des provinces entières. Autrement dit, il importe que l’ensemble du territoire soit le témoin, sinon le bénéficiaire de l’œuvre civilisatrice. Et non pas seulement quelque région privilégiée : capitale ou villes plus importantes. Telle église de village, tel style campagnard pouvant être des signes extrêmement sûrs de l’excellence d’une civilisation. Cette éclosion du beau jusque dans les moindres recoins ne peut pas ne pas être la preuve d’une profonde communion des esprits et des cœurs.

Epanouissement toujours. Epanouissement durable, assez bien maintenu, convenablement développé. Il n’est pas rare, en effet, d’entendre dire que tant de siècles avant une découverte, une réalisation célèbre, tels hommes, en tel pays, les avaient déjà faites. Ce qui, bien sûr, vaut d’être rappelé. Et ce qui, pourtant, peut ne rien prouver. Parce que ces découvertes, ces réalisations, furent comme fortuites, sans lendemain. Elles ne sauraient servir de preuves civilisatrices, car elles ne furent pas intégrées, assumées, exploitées par une cité qui sut en développer, prolonger le bienfait de génération en génération.

Cas de ces pays où une population misérable vit au milieu de ruines somptueuses mais dont elle ne comprend ni la valeur, ni la beauté.

Œuvre civilisatrice, par contre, de ces papes qui ne craignirent pas de sauver et de réunir dans leurs musées les chefs d’œuvre d’un paganisme dont, par ailleurs pourtant, ils refusaient l’esprit.

En tout, pour tous, partout, toujours. Pour savoir quelle fut, pour savoir quelle est la civilisation la meilleure, sinon la civilisation tut court, il faut moins s’arrêter aux très grands chefs d’œuvre qu’à l’ensemble harmonieux de ses réalisations. A tous les degrés. Selon ce critère qui, dans nos lycées et collèges, sert à décerner les prix d’excellence. Prix accordés à des élèves qui n’ont peut-être pas été les meilleurs en tout, mais qui, pour l’ensemble des matières ont obtenu, l’année durant la moyenne la plus élevée.

Ce qui peut ce traduire ainsi. Au plan des choses de l’esprit et de l’âme : quels furent les sages, les héros et les saints de cette civilisation ? Quel fut leur rayonnement, leur influence ? Quel accueil leur fut et leur reste fait ? Quels furent ses penseurs, ses poètes ? Quels ses écrivains et ses artistes ? Quels furent ses savants ? Quels furent ses pionniers ? Quels furent ses architectes et ses monuments ? Quel fut le renouvellement des styles ?

Quelles furent les mœurs, les institutions, les lois ? Quelles furent la sagesse, la prudence, l’héroïsme des chefs ?

Quels y furent le sens et le rang de la femme ? Quels y furent l’amour, la courtoisie, la politesse ?

Quels y furent le sens de l’homme et le respect du droit des gens ? Jusque dans la guerre ! Quel y fut, non en paroles mais dans les faits, l’effort pour humaniser les heurts entre belligérants ? Quel y fut l’esprit chevaleresque ?

Quelle fut l’action éducatrice et culturelle de l’ensemble du peuple ? Les plus humbles furent-ils évangélisés, instruits, éduqués, soutenus, soignés ? Quel y fut le développement des œuvres de miséricorde… tant spirituelles que matérielles ? Quelles furent les écoles, la qualité des études ? Quels furent les hospices, les hôpitaux ?

Quel fut le développement des classes moyennes, signe particulièrement net de l’heureux développement d’une société ?

Quel fut le goût du savoir, l’amour du bien, le sens du beau dans les provinces les plus reculées ? Si tout fut admirable au château, qu’en fut-il au rang des chaumières ? Cette civilisation eut-elle… non ses pauvres, toutes en eurent et en auront, mais ses parias, ses damnés, ses «vaches sacrées» ?

Quels furent la valeur, l’élégance, le raffinement des danses ou des chants populaires ? Quels furent les costumes, la façon de s’habiller, voire, quelle fut la façon de se nourrir, de manger et de boire, de se tenir à table ?

Quels furent l’artisanat, l’industrie, le commerce, l’honnêteté des marchandises ? Quelles furent les découvertes techniques et scientifiques ?

Quelle fut l’ordonnancement des villes, l’état des routes et la sûreté des communications ?

Quelles furent la marine et l’agriculture ? Etc. Etc.

Christianiser c’est civiliser

Or dans quel sillage et à l’école de qui découvre-t-on cette gigantesque entreprise d’exaltation de toutes les virtualités de l’humain ?

Déjà, aux jours d’Hérode, les envoyés de Jean ne lui avaient-ils pas rapporté ce qu’ils avaient vu ? Depuis «les boîteux qui marchent» jusqu’aux «pauvres évangélisés», la terre n’a pas cessé de s’emplir des œuvres de miséricorde fondées sous le signe de cet Homme.

Quelle religion a jamais assumé comme la sienne la charge de l’humanité et subvenu à ses besoins ? La nourrissant, la soignant, la réconfortant, la pacifiant, l’instruisant, l’éduquant ! Et cela non en «cénacles», par une action d’esthètes ne s’adressant qu’à d’autres esthètes, initiés ou privilégiés, mais par l’action la plus largement, la plus constamment humaine. Universelle ! Torrent d’eaux vives auxquels se sont abreuvés et s’abreuvent toujours des peuples entiers, pauvres ou riches, nés d’hier ou tout chargés du poids d’une riche et longue histoire.

Epopée de vingt siècles dont la leçon, si nous savions l’entendre, serait : christianiser, c’est humaniser et civiliser. Alors qu’il est de plus en plus clair que déchristianiser, laïciser, c’est provoquer un affaissement de la morale publique et privée ; c’est faire naître un monde où l’homme se dépersonnalise ; un monde «vidé de toute substance humaine et où des milliards d’hommes, écrit Antoine de Saint-Exupéry[[- In Lettre au général X.]], n’entendent plus que le robot, ne comprennent que le robot, se font robot». Un univers plus que jamais totalitaire, concentrationnaire. Univers des guerres d’enfer. Société de consommation qui, dans le jeunesse surtout, ne peut qu’engendrer révolte et contestation permanente. Société où l’exaltation du sexe donne le change sur l’amour, où les délices de la drogue prévalent sur la joie, les plaisirs et les jeux où nos pères se complurent.

Car s’il est vrai que la civilisation dite moderne (quoiqu’elle mérite mieux son nom d’«industrielle») peut être fière de ses performances scientifiques, techniques, matérielles, qu’en est-il de son âme, de son esprit, de son moral, de ses arts ?

Trop de choses ne donnent-elles pas raison à Burke, ce publiciste anglais, écrivant dans les années de la Révolution française : «Le temps de la chevalerie est passé. Celui des sophistes, des économistes et des calculateurs lui a succédé, et la gloire de l’Europe est éteinte à jamais. Jamais, non jamais, nous ne reverrons cette généreuse loyauté envers le rang et envers le sexe, cette soumission fière, cette obéissance, cette subordination du cœur qui, dans la servitude même, conservait l’esprit d’une liberté exaltée ! L’ornement naturel de la vie, la défense peu coûteuse des nations, cette pépinière de tous les sentiments courageux et des entreprises héroïques… cela est perdu. Elle est perdue cette sensibilité des principes, cette chasteté de l’honneur pour laquelle une tache est une blessure, qui inspiraient le courage en adoucissant la férocité, qui ennoblissaient tout ce qu’elles touchaient et qui, dans le vice lui-même, lui faisait perdre de son danger en lui faisant perdre sa grossièreté»[[- Edmund Burke (1729-1797, La révolution de France, p. 133.]].

Supériorité incomparable des civilisations nées du christianisme. «La vraie preuve du catholicisme, écrivait Huysmans, c’était cet art qu’il avait fondé, cet art que nul n’a surpassé encore ! C’était en peinture et en sculpture les primitifs ; les mystiques dans les poésies et dans les proses ; en musique, c’était le plain-chant ; en architecture, c’était le roman et le gothique».

Non que l’on prétende nier les degrés de civilisations souvent très élevés auxquels sont parvenus tant de peuples non chrétiens. Ainsi les Athéniens, les Romains, les Arabes, les Chinois, les Aztèques, les Incas… Cependant, pour peu qu’on observe chacune de leurs civilisations, comment ne pas être choqué par leurs carences. Non carences accidentelles, dues à l’inévitable faiblesse des individus. Mais carences essentielles, peut-on dire. Carences de principes. Carences institutionnelles.

Car l’argument n’est pas sérieux selon lequel les civilisations se vaudraient, sous prétexte qu’elles toutes et des pages de gloire et des pages de honte. Ce qui est évident. Et ce qui ne prouve rien. Car il y a honte et honte, crime et crime, scandale et scandale. Selon que ces hontes, ces crimes, ces scandales découlent des principes, de l’esprit, des normes de la civilisation considérée, ou selon qu’ils sont imputables à la seule faiblesse de quelques individus, malgré les principes, l’esprit, les normes de cette même civilisation.

La différence est essentielle, en effet, entre le crime commis au nom de la loi et le crime commis contre la loi.

L’honneur de la civilisation chrétienne est que les tares et les crimes y furent toujours stigmatisés comme tels. «Le vice n’y découla pas de la loi, la vertu n’y fut pas l’inconséquence et l’exception». Les réalisations y purent (ou peuvent) décevoir, les individus y purent (ou peuvent) paraître indignes ; « l’essentiel » n’en fut pas moins et n’en est pas moins vu, maintenu, proclamé. Rien de comparable à nos actuelles morales de situation qui ne sont que des réductions de la morale à la mesure des faiblesses ou des crimes d’une génération.

Lentement peut-être, mais réellement, les civilisations chrétiennes furent, et restent, orientées vers l’ordre moral vrai. Le mal y fut et demeure dénoncé, sinon guéri. Les fautes y furent, y sont, l’effet des déficiences humaines. Elles n’y furent pas, et n’y sont pas, l’idéal de la doctrine. On ne prétendait pas y honorer Dieu par des sacrifices humains. On n’y trouvait pas légitime la polygamie ou le concubinage. On n’y admettait pas le divorce, ni la stérilisation, ni l’avortement, ni l’euthanasie. On n’y vit jamais cet avilissement de la femme, ce croupissement des masses comme en pays d’Islam, cette condition de «parias», les «vaches sacrées» de l’Inde, ni cet esclavage qui sévit encore au Proche ou au Moyen-Orient, etc.

Autrement dit si, la part étant faite à ce qui fut et demeure la faiblesse humaine, on juge les civilisations d’après leur doctrine, leur esprit, la civilisation chrétienne apparaît comme étant la civilisation tout court.

Disons plus. Si, quittant ce plan idéal des seuls principes pour celui des réalisations concrètes, on se penche sur la civilisation des nations chrétiennes avant leur apostasie, la supériorité de cette civilisation n’en paraît pas moins écrasante. Car paupérisme, lutte des classes, guerres d’enfer, univers concentrationnaire, rythme de vie inhumain, institutions où l’homme se dépersonnalise, effondrement de la moralité, érotisme, drogue, etc, tous ces fléaux si évidents de l’évolution actuelle n’ont pris tant d’importance que par l’apostasie des nations, de leurs principes et de leur foi.

De sorte qu’en théorie comme en fait, la vérité s’impose de ce paragraphe de saint Pie X : «la civilisation de l’humanité est une civilisation chrétienne. Elle est d’autant plus vraie, plus durable, plus féconde en fruits précieux qu’elle est plus nettement chrétienne ; d’autant plus décadente, pour le malheur de la société, qu’elle se soustrait davantage à l’idée chrétienne»[[- Saint Pie X, Il fermo proposito.]].

Œuvre d’art. La plus belle œuvre d’art ! Œuvre de la plénitude humaine. La beauté même de l’ordre humain.